Mesurer l’herbe au pâturage : fonctionnement, intérêts et contraintes

Introduction

Le pâturage est une ressource dynamique, influencée par la saisonnalité, la fertilité du sol et les conditions météorologiques. Sa gestion efficace ne repose pas uniquement sur la quantité d’herbe disponible à un instant donné, mais surtout sur la capacité à anticiper et comprendre la croissance de l’herbe. En effet, ce n’est pas seulement la biomasse disponible qui conditionne l’efficacité du pâturage, mais la vitesse à laquelle l’herbe repousse après consommation.

Savoir mesurer cette croissance permet d’adapter les décisions de pâturage en temps réel : ajuster les chargements, planifier les rotations, optimiser les stocks d’herbe pour anticiper les périodes de ralentissement de croissance et limiter le gaspillage. En d’autres termes, mesurer l’herbe, c’est d’abord comprendre son évolution dans le temps, afin de mieux l’exploiter.

Différentes méthodes existent pour suivre cette croissance, allant de l’observation simple aux outils de mesure plus précis. Chaque technique a ses avantages et ses contraintes, et leur pertinence dépend du système d’élevage et du niveau de précision souhaité.

1. Pourquoi mesurer l’herbe au pâturage ?

L’herbe est une ressource vivante et dynamique, dont la vitesse de croissance évolue en fonction de multiples facteurs. Contrairement à une vision statique qui consiste uniquement à mesurer la biomasse disponible, une gestion efficace du pâturage repose avant tout sur la compréhension et l’anticipation de la repousse.

1.1. Adapter la rotation des parcelles à la croissance réelle

• Dans un système de pâturage tournant, la réussite repose sur un bon équilibre entre le temps de repos des parcelles et le moment où les animaux y reviennent.

• La croissance de l’herbe suit une courbe en « S » :

  • Phase de démarrage (croissance lente après la coupe ou le pâturage).

  • Phase d’accélération (croissance rapide, optimale pour le pâturage).

  • Phase de plafonnement (montaison, lignification et perte de valeur alimentaire).

• Mesurer régulièrement l’herbe permet de s’assurer que les animaux retournent sur une parcelle au bon moment, ni trop tôt (risque de surpâturage et d’épuisement de la prairie), ni trop tard (baisse de la qualité et gaspillage d’herbe).

1.2. Maximiser l’ingestion et la performance animale

• Une herbe pâturée au bon stade est plus riche en énergie et plus digestible, ce qui permet d’améliorer les performances laitières ou la croissance des animaux.

• En anticipant la croissance, l’éleveur peut réguler la durée de séjour des animaux sur une parcelle en fonction de la disponibilité de l’herbe et éviter le stress alimentaire.

• Cela permet aussi de mieux équilibrer les apports en concentrés et d’ajuster la complémentation en fonction de la dynamique de pousse.

1.3. Sécuriser l’alimentation et anticiper les périodes critiques

• L’herbe n’a pas une croissance linéaire : elle varie selon la saison, la météo et la fertilité des sols.

• En mesurant régulièrement l’herbe, l’éleveur peut anticiper les périodes de ralentissement (sécheresse estivale, gel hivernal) et prendre les bonnes décisions :

  • Mettre en place des stocks d’herbe sur pied pour les périodes de moindre pousse.

  • Prévoir des compléments fourragers pour éviter un déficit alimentaire.

  • Ajuster la pression de pâturage (réduire le chargement ou ralentir la rotation).

1.4. Réduire les coûts alimentaires

• L’herbe pâturée est l’aliment le plus économique pour un élevage, mais sa valorisation dépend de la capacité à bien la gérer.

• Une meilleure anticipation de la croissance permet de :

  • Limiter le recours aux fourrages stockés (ensilage, foin), souvent plus coûteux.

  • Optimiser l’achat de concentrés, en ajustant les apports selon la quantité d’herbe disponible.

  • Augmenter l’autonomie alimentaire et réduire la dépendance aux intrants extérieurs.

1.5. Favoriser la résilience et la durabilité des prairies

• Un pâturage bien géré, basé sur la mesure et l’anticipation de la croissance, permet de :

  • Préserver la fertilité du sol en évitant le surpâturage et le compactage.

  • Favoriser une prairie plus productive et pérenne, avec un bon équilibre entre les espèces.

  • Réduire l’impact environnemental, en limitant l’usage d’engrais minéraux et en maximisant le potentiel de l’herbe.

2. Les différentes méthodes de mesure

Il existe plusieurs façons d’évaluer la croissance de l’herbe, allant de l’observation simple aux outils plus sophistiqués. L’objectif principal étant d’anticiper la dynamique de pousse, chaque méthode doit permettre d’obtenir une vision fiable de l’évolution de la biomasse au fil du temps.

2.1. L’estimation visuelle : la méthode la plus simple mais subjective

Principe

• Cette méthode consiste à observer l’état des prairies et à estimer approximativement la hauteur et la densité de l’herbe.

• L’éleveur se base sur son expérience pour juger si une parcelle est prête à être pâturée ou si elle doit encore pousser.

Avantages

✅ Méthode rapide, sans équipement.

✅ Accessible à tous, sans formation spécifique.

Inconvénients

❌ Très subjective, dépend fortement de l’expérience de l’observateur.

❌ Peu précise pour suivre l’évolution de la croissance au fil du temps.

❌ Difficile d’établir des repères chiffrés pour adapter la gestion du pâturage.

2.2. Le plateau de pesée (Rising Plate Meter) : un outil fiable pour suivre la croissance

herbomètre à plateau

Principe

• Le plateau de pesée est un tube gradué avec une plaque circulaire qui s’abaisse en fonction de la hauteur et de la densité de l’herbe.

• À chaque mesure, il donne une estimation du stock d’herbe en kg de matière sèche/ha.

• En réalisant des mesures à intervalles réguliers, il est possible de calculer la vitesse de croissance (exprimée en kg de MS/ha/jour).

✅ Méthode fiable et reproductible.

✅ Permet de suivre la croissance de l’herbe de manière précise.

✅ Facile à utiliser et rapide à mettre en œuvre sur le terrain.

✅ Indicateur chiffré qui permet d’ajuster le pâturage en fonction de l’évolution de la pousse.

❌ Investissement initial pour acheter l’équipement.

❌ Nécessite d’être utilisé régulièrement pour un bon suivi.

❌ Peut donner des écarts de mesure sur des prairies très hétérogènes (herbe couchée, parcelles irrégulières).

2.3. Les outils numériques et capteurs : vers une mesure automatisée de la croissance

Avec l’essor des nouvelles technologies, de plus en plus d’outils numériques permettent d’automatiser la mesure de l’herbe et d’obtenir des données en temps réel.

2.3.1. Capteurs montés sur véhicules ou drones

• Certains systèmes utilisent des capteurs embarqués sur des quad, tracteurs ou drones pour mesurer la hauteur de l’herbe et calculer une estimation du stock disponible.

• Des modèles avancés peuvent suivre l’évolution de la pousse sur plusieurs jours et donner une tendance de croissance.

✅ Rapide, surtout sur de grandes surfaces.

✅ Réduction de la charge de travail.

❌ Coût élevé à l’achat et à l’entretien.

❌ Nécessite un certain niveau de formation pour l’utilisation.

2.3.2. Applications et satellites : des données accessibles en temps réel

• Certains services proposent des cartes satellites qui suivent l’indice de végétation des prairies pour estimer la croissance de l’herbe.

• Des applications mobiles permettent aussi d’enregistrer manuellement des mesures et d’obtenir des prévisions de pousse.

✅ Vision globale de l’évolution de la pousse.

✅ Peut être utilisé comme un outil complémentaire aux mesures de terrain.

✅ Données parfois accessibles à distance via des plateformes en ligne.

❌ Moins précis que des mesures physiques sur le terrain.

❌ Les données satellitaires peuvent être perturbées par la météo (couverture nuageuse).

3. Contraintes et limites de la mesure d’herbe

Si la mesure d’herbe est un outil précieux pour améliorer la gestion du pâturage, elle présente aussi des contraintes et limites qui doivent être prises en compte pour en tirer le meilleur parti. Ces limites concernent à la fois la précision des mesures, la régularité nécessaire, les aspects logistiques et l’adaptation aux différents systèmes d’élevage.

3.1. La variabilité des mesures et les facteurs influençant la précision

La mesure d’herbe n’est jamais parfaitement exacte, car elle dépend de nombreux paramètres qui influencent les résultats :

1️ Hétérogénéité des prairies

• Une prairie composée de plusieurs espèces fourragères (ray-grass, trèfle, fétuque…) présente des densités et structures différentes qui influencent la mesure.

• Les zones piétinées, les repousses après fauche ou la présence de refus peuvent fausser les résultats.

✅ Réaliser plusieurs mesures sur une même parcelle et calculer une moyenne représentative.

2️ Influence de l’humidité et de la saison

• Après la pluie ou une rosée abondante, l’herbe est alourdie, ce qui peut biaiser les mesures avec un plateau de pesée.

• En été, l’herbe devient plus sèche et plus dense, ce qui peut donner une estimation inférieure à la réalité en termes de quantité de matière sèche disponible.

• La croissance de l’herbe varie fortement selon les saisons, ce qui peut complexifier la prévision des stocks fourragers.

✅ Toujours mesurer à la même heure (de préférence en milieu de journée, quand l’herbe est sèche) et comparer les données avec celles des semaines précédentes pour repérer les tendances de croissance plutôt que de s’arrêter à une valeur ponctuelle.

3️ Effet du mode de pâturage et des interventions mécaniques

• Le type de pâturage (tournant ou continu) impacte la repousse et la mesure de l’herbe :

  • En pâturage tournant, la croissance est plus homogène et plus prévisible.

  • En pâturage continu, les animaux consomment l’herbe de manière plus irrégulière, rendant les estimations plus complexes.

• Une fauche peut ralentir la repousse et fausser les prévisions de croissance.

✅ Toujours noter les événements clés sur la parcelle (date du dernier pâturage, fauche, fertilisation…) pour mieux analyser les mesures et éviter de tirer des conclusions erronées.

3.2. La nécessité d’un suivi régulier pour un bon pilotage

Une mesure ponctuelle de l’herbe n’a que peu d’intérêt si elle n’est pas suivie d’un relevé régulier.

• La croissance varie quotidiennement, et un décalage de quelques jours dans l’estimation peut fausser les décisions de pâturage.

• Les périodes clés (printemps, sécheresse estivale, automne) nécessitent un suivi intensifié pour bien ajuster la gestion.

✅ Mesurer au moins une fois par semaine, idéalement toujours le même jour et à la même heure pour limiter les biais et comparer les tendances de croissance sur plusieurs semaines pour prendre des décisions éclairées.

3.3. Les contraintes logistiques et coûts d’équipement

Selon la méthode choisie, la mesure d’herbe peut représenter un coût en temps et en matériel.

⏳ Temps nécessaire

• Une mesure efficace nécessite de la rigueur et de la discipline :

  • Faire plusieurs relevés par parcelle (au moins 40 points pour un plateau de pesée).

  • Noter les résultats et les analyser (papier ou application).

• Pour un éleveur seul, cela peut être contraignant en période de forte charge de travail (fenaison, vêlages…).

✅ Solution : intégrer la mesure dans la routine hebdomadaire et utiliser des outils numériques pour automatiser l’enregistrement des données.

💰 Investissement en matériel

• Le plateau de pesée coûte entre 600 et 1000€, un investissement raisonnable mais qui nécessite un temps d’apprentissage.

• Les outils plus avancés (drones, capteurs) représentent un coût élevé, souvent justifiable uniquement pour les grandes exploitations ou en service collectif.

✅ Tester d’abord une méthode simple (plateau de pesée) avant d’investir dans des outils plus coûteux ou mutualiser certains équipements entre plusieurs éleveurs ou via des groupes techniques.

3.4. Adaptation de la mesure d’herbe selon le système d’élevage

Toutes les exploitations ne bénéficient pas de la mesure d’herbe de la même manière.

👨‍🌾 Exploitations en pâturage tournant

• ✅ Fort intérêt, car la mesure permet d’ajuster les rotations et maximiser l’ingestion.

• ✅ Un plateau de pesée ou une application numérique peut vraiment améliorer la gestion.

🐖 Systèmes avec pâturage limité (moins de 30% de la ration)

• ❌ Peu d’intérêt direct, sauf pour ajuster certaines périodes critiques (exemple : pic de croissance printanier).

• ✅ Peut être utile pour optimiser l’herbe d’appoint et réduire les coûts alimentaires.

Conclusion

La mesure de l’herbe est bien plus qu’un simple indicateur de la biomasse disponible dans une prairie : c’est avant tout un outil stratégique pour comprendre et anticiper la croissance des pâturages. En connaissant la dynamique de pousse, les éleveurs peuvent ajuster la gestion du pâturage pour maximiser l’ingestion des animaux, optimiser la rotation des parcelles et sécuriser l’alimentation tout au long de l’année.

Plusieurs méthodes existent, allant de l’estimation visuelle aux outils numériques avancés. Si certaines sont plus accessibles que d’autres, elles ont toutes en commun de nécessiter une régularité d’observation et une bonne interprétation des données pour être réellement efficaces.

Cependant, malgré ses nombreux avantages, la mesure d’herbe présente aussi des limites qu’il faut prendre en compte : la variabilité naturelle des prairies, l’influence des conditions météorologiques, le temps nécessaire au suivi et le coût de certains équipements. La clé du succès réside donc dans la mise en place d’une méthode adaptée aux besoins de l’éleveur, couplée à une observation terrain régulière.

Dans un prochain article, nous approfondirons l’interprétation des résultats et leur utilisation pour ajuster les décisions de pâturage, en nous appuyant sur des témoignages d’éleveurs ayant mis en place un suivi rigoureux de la croissance de l’herbe.

💡 Mesurer l’herbe, ce n’est pas simplement connaître ce qu’on a aujourd’hui, c’est surtout anticiper ce qu’on aura demain.

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