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Substitution alimentaire au pâturage : bien doser le concentré pour ne pas gâcher l’herbe

Introduction : Concentré et pâturage : faut-il continuer à complémenter quand l’herbe pousse ?


Dans bien des élevages, les concentrés font partie des habitudes. On en donne un peu pour “soutenir la production”, un peu plus pour les vaches fraîches, parfois tout au long de la lactation, souvent sans trop y penser. Mais au fil des années, une question revient de plus en plus souvent : “Est-ce que ça vaut encore le coup ?”


On observe parfois que les résultats ne sont pas à la hauteur. Qu'on donne 2, 4 ou 6 kilos, mais que la production ne suit pas toujours. Que les vaches ne “répondent pas” comme prévu. Et surtout, qu’elles ne mangent pas tant d’herbe que ça, malgré une belle prairie devant elles.


Ce qu’on appelle souvent un “manque d’appétit” ou un “petit creux de pâturage” est en réalité un phénomène connu, bien documenté mais peu discuté sur le terrain : la substitution alimentaire. Autrement dit : quand on donne un aliment en plus, la vache en mange moins d’un autre. Et dans un système pâturant, ce qu’elle mange en moins, c’est de l’herbe.


Alors la vraie question n’est pas “Faut-il donner du concentré ?”, mais bien :

“Quand je donne du concentré… qu’est-ce que mes vaches ne mangent plus ?”

Et là, tout change. Car selon ce qu’elles auraient mangé à la place – une herbe jeune et riche ou une herbe sèche et fibreuse – le concentré peut être une très bonne idée, ou un vrai gaspillage économique.


Dans cet article, on va voir ensemble comment :

  • Identifier la qualité réelle de l’herbe que vos vaches ont sous le nez,

  • Comprendre ce que le concentré remplace concrètement dans la ration,

  • Et surtout, comment décider si ça vaut le coup… ou pas.

 

Comprendre la substitution alimentaire au pâturage


Quand on donne un concentré à une vache au pâturage, on pourrait croire qu’on “ajoute” simplement quelque chose en plus de l’herbe. Un petit coup de pouce. Un complément.

Mais dans les faits, ce n’est pas tout à fait comme ça que ça fonctionne.


La vache, comme tout ruminant, a une capacité d’ingestion limitée. Elle ne peut pas manger 25 ou 30 kg de matière sèche par jour juste parce qu’on lui propose plus. Elle a un “ventre à taille fixe”, et des besoins énergétiques à couvrir, pas plus. Donc si on lui apporte un aliment concentré, dense en énergie, elle régule sa ration : elle mange un peu de ce nouveau produit… et un peu moins d’herbe.


Ce phénomène porte un nom : la substitution alimentaire au pâturage.


C’est un processus naturel, mécanique, et très bien documenté dans les essais scientifiques. Chaque kilo de matière sèche de concentré apporté vient remplacer une certaine quantité de matière sèche d’herbe. On ne sait jamais exactement combien, car cela dépend de plusieurs facteurs (le type de concentré, le stade de lactation, l’appétence de l’herbe, la météo…). Mais les données issues de la recherche, notamment en Nouvelle-Zélande et en France, donnent des repères utiles.


💡 En moyenne, 1 kg de MS de concentré fait baisser la consommation d’herbe de 0,6 à 1,0 kg de MS.

Autrement dit, si on donne 4 kg de concentré par jour à une vache, on peut perdre jusqu’à 4 kg de MS d’herbe dans sa ration. C’est énorme.


Et ce n’est pas un détail : car l’herbe, c’est souvent l’aliment le moins cher, le plus local, et le plus naturel pour une vache. Alors si on le remplace par un concentré plus cher et pas toujours plus riche, on perd à la fois en efficacité et en marge.


Mais attention : ce n’est pas toujours une mauvaise chose. Parfois, ce que la vache aurait mangé à la place n’était pas très intéressant (herbe sèche, montée, pauvre en énergie). Dans ce cas, le concentré fait mieux, même s’il coûte plus cher. Et c’est là que réside toute la subtilité de la question.


👉 Le problème, ce n’est pas la substitution. C’est de ne pas savoir ce qu’on est en train de substituer.


Dans la prochaine partie, on va voir comment évaluer visuellement la qualité de l’herbe que vos vaches ont devant elles, pour savoir ce que vous risquez de perdre (ou de gagner) en distribuant un concentré.


Diagnostiquer la qualité de sa prairie


Pour décider si un concentré est utile ou non, encore faut-il savoir ce qu’on cherche à compléter. Et en système pâturant, tout commence par l’herbe disponible. Pas “l’herbe” au sens large, mais celle que les vaches ont sous les pieds aujourd’hui, dans ce paddock, à ce stade précis.


Et cette herbe peut avoir des qualités nutritionnelles très différentes, même dans une même prairie naturelle, selon la flore, la densité, le stade, ou encore la saison.


L’objectif ici, ce n’est pas d’estimer un UFL ou une MAT au dixième près. C’est d’apprendre à lire la prairie avec un œil technique, pour savoir dans quel cas on peut s’appuyer uniquement sur elle, et dans quel cas une complémentation peut apporter un vrai plus.


🔍 Trois profils de prairies naturelles : lecture terrain


On peut classer les prairies en trois grands niveaux fonctionnels, à partir de critères visuels simples :

  • La densité végétative (feuillage, tiges, matière sèche totale),

  • La proportion de matière morte (résidus secs, non appétents),

  • La présence de légumineuses, notamment trèfle blanc.



Prairie de top qualité

✅ Prairie de top qualité

  • Aspect : dense, très feuillue, homogène.

  • Teneur en trèfle blanc : souvent >40 %.

  • Matière morte : quasiment absente.

  • Ingestion potentielle : très élevée.

  • Stade végétatif : pré-floraison, herbe courte mais en pleine phase de croissance.


🧪 Estimations nutritionnelles :

  • UFL ≈ 0,95 à 0,98

  • MAT ≈ 18 à 23 %

  • Ingestion : 17–18 kg MS/vache


🧠 Cette prairie peut couvrir les besoins des vaches à elle seule.Même en excès d’azote, aucune complémentation n’est obligatoire.Mais, dans certains cas (stade lactation, stratégie), une céréale pure peut rééquilibrer la ration avec efficacité.



Prairie de qualité moyenne

⚖️ Prairie de qualité moyenne

  • Aspect : plus hétérogène, mélange tiges/feuilles, un peu de montée.

  • Matière morte : présente à la base, mais pas dominante.

  • Trèfle blanc : 15–30 %.

  • Stade : post-repousse, ou pâturée un peu tard.


🧪 Estimations :

  • UFL ≈ 0,80 à 0,88

  • MAT ≈ 14 à 17 %

  • Ingestion : 15 à 16 kg MS/vache


🧠 Ici, la complémentation peut améliorer l’efficacité de la ration, surtout en début de lactation. Un concentré énergétique ou une VL modéré peut booster la production sans déséquilibrer l’ensemble.



Prairie de faible qualité

❌ Prairie de faible qualité

  • Aspect : haute, grossière, fibreuse.

  • Matière morte : abondante, parfois dominante.

  • Trèfle : quasi absent.

  • Stade : post-montaison, mauvaise valorisation, ou sous-pâturage.


🧪 Estimations :

  • UFL ≈ 0,70 à 0,78

  • MAT ≈ 11 à 13 %

  • Ingestion : souvent limitée (<14 kg MS)


🧠 Dans ce cas, le concentré ne vient pas remplacer une bonne herbe, il compense une carence.

C’est ici qu’il est le plus rentable : il apporte bien plus que ce qu’il remplace.



 

Ce que vaut un concentré standard


Quand on parle de complémentation, on parle en réalité de produits très différents, aux effets très variables, aussi bien sur le plan nutritionnel qu’économique. Or, dans la pratique, le mot “concentré” est souvent utilisé de façon générique : “je donne 4 kg de concentré”. Mais quel concentré exactement ?


Pour bien comprendre ce que la complémentation remplace dans la ration, il faut déjà bien cerner ce qu’on donne réellement.


🔍 Deux grandes familles à distinguer


1. Le concentré VL standard

Il s’agit d’un aliment complet, formulé pour couvrir à la fois les besoins énergétiques et protéiques. C’est le concentré qu’on retrouve dans la majorité des DAC automatiques, ou livré en big bag.


Caractéristiques moyennes :

  • UFL ≈ 0,98 /kg MS

  • MAT ≈ 17–18 %

  • Coût : ≈ 380 €/T (soit 0,38 €/kg brut)

  • Composition : céréales, tourteaux, minéraux, additifs éventuels


✅ Intéressant :

  • Pour les rations déséquilibrées ou pauvres en protéines (ensilage de maïs, foin tardif, pâture très sèche)

  • En soutien sur les 30–60 premiers jours de lactation


❌ Limite :

  • Sur une prairie naturelle très riche en azote, ce concentré apporte de la protéine là où il y en a déjà trop

  • Dilue l’apport énergétique (on remplace une herbe plus dense par un concentré moins riche en énergie nette)

  • Coût élevé → rentabilité faible, voire négative en cas de substitution totale d’une herbe performante


2. La céréale pure (énergie seule)

Orge, blé, maïs grain… Ces concentrés simples ne contiennent quasiment pas de protéines, mais apportent une énergie dense et très digestible. Ce sont eux qui ont le plus de sens en complément d’une herbe excédentaire en azote.


Caractéristiques moyennes :

  • UFL ≈ 1,00 à 1,15 (selon céréale et mode de préparation)

  • MAT ≈ 8–10 %

  • Coût : 280 à 320 €/T, souvent moins en production fermière

  • Formes : aplatis, farine


✅ Intéressant :

  • Sur prairie très riche en MAT, rééquilibre l’excès d’azote par un apport d’énergie nette

  • Très bon coût par UFL

  • Plus cohérent avec la nature de l’herbe substituée (remplacement énergétique, pas protéique)


❌ Limite :

  • Non équilibré → ne convient pas à une ration déjà pauvre

  • Transition digestive à anticiper si forte quantité


⚖️ Comparatif nutritionnel et économique

Critère

Concentré VL

Céréale pure

UFL/kg MS

~0,98

1,00–1,15

MAT (%)

~18 %

8–10 %

Prix €/T

~380 €

280–320 €

Coût par UFL (€/UFL)

~0,39

~0,26–0,32

Intérêt sur prairie riche

Faible ou négatif

Potentiellement élevé

🧠 Ce qu’il faut retenir ici


Sur une prairie naturelle très performante, dense, avec beaucoup de trèfle blanc et donc riche en azote,


le concentré VL devient redondant, voire contre-productif. Il apporte de l’azote supplémentaire et remplace une herbe souvent plus dense énergétiquement.


Dans ce contexte, si une complémentation est envisagée (pour objectif de production, ou soutien en phase critique), alors :

  • La céréale pure est le choix le plus cohérent,

  • Elle apporte ce qui manque (l’énergie),

  • Sans déséquilibrer ce qui est déjà présent (l’azote),

  • Et à un coût plus bas et plus facilement maîtrisable.

 

“Un peu, c’est bien… trop, c’est trop” : comment la substitution évolue avec la dose de concentré


Dans bien des élevages, la complémentation démarre de manière modeste : 1, 2 ou 3 kg de concentré par vache et par jour. Et souvent, à ces niveaux là, les résultats sont bons : les vaches semblent mieux tenir leur pic de lactation, la production augmente un peu, les refus diminuent. Bref, ça “répond”.


Et pour cause : à faible dose, le concentré joue son rôle de stimulateur d’ingestion. Il s’ajoute à la ration de base sans forcément remplacer grand-chose. On parle ici d’un taux de substitution bas : souvent entre 0,2 et 0,4.Autrement dit : pour 1 kg de concentré donné, la vache ne consomme que 200 à 400 g de MS d’herbe en moins. Le reste s’ajoute.


Mais à partir de 3 à 4 kg par jour, les choses changent. Le rumen est déjà bien rempli. Le système digestif commence à s’autoréguler. L’apport de concentré n’est plus “un plus”, il devient “à la place de”.Et là, le taux de substitution grimpe : on passe à 0,6, puis 0,8, et au-delà de 5 ou 6 kg, on s’approche du 1 pour 1.


1 kg de concentré = 1 kg d’herbe en moins.

Graphique qui montre l'évolution du taux de substitution
Evolution du taux de substitution


🔍 Pourquoi c’est un problème… sur une prairie performante


Sur une herbe moyenne ou faible, ce n’est pas dramatique. Ce que le concentré remplace, c’est un aliment moins dense, moins riche, parfois mal équilibré.

Mais sur une prairie de top qualité — très digestible, riche en UFL, en protéines, bien conduite — ce que la vache perd est souvent meilleur que ce que le concentré apporte.

  • On paie un concentré pour remplacer une herbe qu’on avait déjà, pour moins cher.

  • On ajoute parfois de la protéine sur une ration déjà excédentaire.

  • Et surtout, on ne gagne pas de lait.



📌 L’effet de seuil : la zone “utile” du concentré


💡 Ce qu’il faut retenir : le concentré est utile tant qu’il complète. Il devient problématique dès qu’il commence à remplacer un aliment plus performant.


Cela veut dire que :

  • À 2 ou 3 kg/jour, la réponse est souvent bonne, même sur prairie riche.

  • Au-delà, sur herbe dense et bien valorisée, la réponse marginale s’effondre, et le coût marginal explose.



🧠 Et en pratique ?

  • ✅ Oui à une complémentation faiblement dosée, ciblée, temporaire, en phase sensible (début lactation, creux d’herbe, stress digestif…).

  • ❌ Non à un apport massif, systématique, sans lecture de ce qu’il remplace.


C’est la qualité de l’herbe, le stade de la lactation et l’objectif économique qui doivent guider la main sur le DAC — pas l’habitude ou le confort.


Stratégies d’utilisation raisonnée des concentrés


Si on reprend tout ce qu’on a vu jusqu’ici, une chose est claire :👉 Le concentré n’est ni bon ni mauvais en soi.

Tout dépend de quand, combien et pour quoi on l’utilise.


Et c’est là que l’approche raisonnée prend tout son sens. Pas de formule magique, mais des grilles de lecture solides pour prendre les bonnes décisions, au bon moment, avec le bon produit.



✅ Règle 1 : Ne pas complémenter “par principe”, mais “par objectif”

Avant de toucher au DAC ou d’envisager un complément, il faut se poser une seule vraie question :


Qu’est-ce que je cherche à obtenir avec ce concentré ?

  • Maintenir le pic de lactation ?

  • Sécuriser un creux d’herbe ?

  • Rééquilibrer un excès de protéines ?

  • Booster un lot de fraîches sans changer le système pour tout le troupeau ?


👉 Si tu n’as pas de réponse claire à cette question, tu prends un risque économique.



✅ Règle 2 : Adapter le type de concentré à ce que l’herbe apporte (ou pas)

Si l’herbe est…

Le bon choix de concentré, c’est…

Pauvre en énergie et en azote

➤ VL complet

Correcte mais un peu déséquilibrée

➤ Céréale seule

Très riche, excédentaire en azote

➤ Rien, ou céréale ciblée

🎯 Ce qui est important ici, c’est de ne pas ajouter ce que l’herbe apporte déjà. Surtout quand elle le fait mieux, pour moins cher.



✅ Règle 3 : Doser pour rester en dessous du seuil de substitution totale


Comme vu dans la section précédente :

  • Jusqu’à 2,5 à 3 kg/jour, le concentré peut encore stimuler l’ingestion.

  • Au-delà, il commence à remplacer l’herbe, avec une efficacité qui chute rapidement.

  • À partir de 4–5 kg/jour, le gain marginal est souvent nul, surtout sur prairie performante.


📌 Conseil terrain :

Mieux vaut 2 kg bien placés que 5 kg gaspillés.



✅ Règle 4 : Réajuster en continu, selon la prairie du jour


Un paddock n’est pas l’autre. Un mois d’avril n’est pas un mois de juillet, les vaches n’ont pas les mêmes besoins, et l’herbe n’a pas toujours la même valeur.


👉 Lire sa prairie chaque jour, c’est le cœur de la stratégie.

  • Beaucoup de trèfle, peu de matière morte, appétence au top ? ➤ On réduit ou on coupe.

  • Pâture moyenne, repousse incomplète ? ➤ On soutient, mais on calibre.

  • Pâture sèche, ou sous forte pluie ? ➤ On sécurise l’ingestion, sans tomber dans l’excès.



✅ Règle 5 : Intégrer l’économie, pas seulement la zootechnie


Enfin, le meilleur concentré du monde n’a aucun intérêt s’il coûte plus qu’il ne rapporte.


👉 On ne raisonne pas seulement en litres produits, mais en coût par litre produit en plus. Et là, la prairie performante (bien conduite, bien valorisée) est souvent imbattable.



🧠 En résumé : piloter, pas automatiser


Le concentré n’est pas une rustine. C’est un levier puissant, mais à manier avec finesse.


✔️ Bien choisi, il stimule l’ingestion, équilibre la ration, et augmente la marge.

❌ Mal choisi, il dilue la performance, remplace l’herbe, et grève le coût de production.


Apprendre à bien lire l’herbe, c’est apprendre à bien utiliser le concentré.


Conclusion :


Le concentré a toute sa place dans un système pâturant. Mais encore faut-il savoir pourquoi on l’utilise, ce qu’il vient apporter… et ce qu’il risque de remplacer.


Sur prairie pauvre, il peut être vital.

Sur prairie moyenne, il peut affiner la ration.

Mais sur une prairie naturelle performante, mal dosé, il peut surtout coûter plus qu’il ne rapporte.


👉 Ce n’est donc pas une question de “pour ou contre” le concentré, mais de choix stratégique, raisonné, ajusté à votre système et à vos objectifs.


💬 Besoin d’un œil extérieur pour calibrer votre stratégie ?

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